Le vendredi 8 mars 2024 s’est tenue la première rencontre du programme Bauges Porteuses organisée par le Collectif des Terreux Armoricains à l’ENSA Bretagne de Rennes. L’événement a réuni une cinquantaine d’acteur·rices de la terre crue, mettant en œuvre de la bauge ou intéressé·es par cette technique.
Bauges Porteuses est un programme de recherche inscrit dans les travaux de l’axe « comportement mécanique » du Projet National Terre, qui vise à caractériser les ouvrages en bauges d’un point de vue mécanique afin d’en faciliter la mise en œuvre et l’assurabilité sur les chantiers de demain. Durant les 3 prochaines années, les trois laboratoires de recherches et les partenaires du projet s’attacheront à réaliser des séries de tests pour évaluer les performances structurelles et la résistance de murs en bauges, en vue de produire un guide de dimensionnement.
Pour ce faire, l’implication des praticien·nes et maçon·nes en terre crue s’avérera utile pour :
- définir les méthodes de mise en œuvre de la bauge les plus représentatives ;
- produire des éprouvettes pour les essais en laboratoire ;
- cartographier et étudier le patrimoine existant en bauge.
Ces éléments ont constitué le fil rouge de la journée.
Définition des typologies
Un premier atelier consistait à récolter des informations sur les différentes méthodes de mise en œuvre de la bauge. Les maçon·nes présent·es, pratiquant cette technique sur chantier ou ayant connaissance d’une méthode particulière, se sont vu remettre un formulaire à remplir. Parmi les techniques présentées lors de la restitution, on peut noter :
Cette méthode se distingue de la technique ancestrale par l’utilisation d’un coffrage en vue d’obtenir des surfaces plus verticales, et limiter la découpe. Elle consiste à empiler une couche de terre (environ 10 cm) entre deux couches de paille avant d’agglomérer l’ensemble en le piétinant.
Le mélange de terre/fibres est réalisé en « caillebottis » (pâtons ou gazons), sortes de briques de terre/paille à l’état plastique. Les caillebottis sont modelés par la découpe du mélange puis lancés à la fourche et assemblés dans le coffrage.
L’appareillage se fait en « opus piscatum », c’est-à-dire en montant les caillebottis de manière inclinée, comme des arêtes de poisson. Construits par tranche de 50 cm (levées), les murs s’élèvent au fur et à mesure du remplissage et du séchage de chaque strate.
Le système de coffrage en bois, conçu par l’entreprise Terre Crue, offre l’avantage de remplir une tranche simultanément au séchage de la strate inférieure.
Voir la vidéo d’amàco et celle de l’atelier alp.
Dans cette méthode, similaire à la précédente, le mélange est mis en œuvre dans un coffrage grillagé en aluminium, aux mailles serrées (2*2 cm).
La terre est mouillée jusqu’à obtenir un « plastique visqueux », puis malaxée avec 2% de paille au moyen d’une pelle mécanique 5 tonnes. Les banches sont remplis soit à l’aide de la pelle mécanique, soit au moyen de mottes de terre plaquées dans le coffrage, puis piétinés. Après décoffrage, le motif de la grille peut être laissé apparent pour aider à l’accroche de l’enduit.
Cette méthode offre l’avantage d’un mélange homogène. Pour le séchage, on reste dans la technique de la bauge traditionnelle, avec 2 à 3 semaines d’attente entre chaque levée.
CobBauge est un projet franco-britannique, conduit dans le cadre du programme Interreg, qui a remis au goût du jour la technique séculaire de la bauge, en la reformulant pour optimiser ses performances thermiques. Durant la réalisation de murs test, les résultats d’analyses n’excluaient pas la possibilité de mettre en œuvre deux mélanges différents dans un même coffrage : une moitié porteuse en bauge traditionnelle, et une moitié isolante en terre allégée (terre/chènevotte).
Cette technique nécessite un coffrage intermédiaire. En vue d’optimiser la masse thermique de la partie porteuse, la partie isolante est située à l’extérieur et nécessite la réalisation d’un enduit à terme. Pour éviter que le mélange allégé ne passe au travers, on opte pour un banche grillagé au maillage serré.
La mise en œuvre se fait de manière alternée. La partie bauge est d’abord remplie (mottes de terre plaquées ou mélange benné avec une pelle mécanique) et piétinée. On déplace ensuite le coffrage intermédiaire pour mettre en œuvre la terre allégée, légèrement compactée à l’aide d’un fouloir manuel. Les levées se font par 30cm.
Consulter les livrables et la documentation technique sur le sujet.
Bauge System est un dispositif de mécanisation et d’automatisation de la production de blocs de terre crue préfabriqués qui comprend une unité de malaxage, un coffrage et une unité de compactage.
L’usine est mobile, on peut aussi assembler les blocs sur site, sans délai de séchage. Le malaxage de la terre prend 5 à 10 min. On travaille la terre avec un taux d’humidité en dessous de celle de la bauge (état élastique pour la sortir du malaxeur). La paille est rajoutée à la sortie. Pour le compactage, la machine compresse, vibre et pétrie. Cette méthode offre l’avantage de monter 2 mètres de mur dans la journée.
Exemple de mise en œuvre sur un bâtiment prototype à Quédillac
Les pratiques similaires sont classées sous une même catégorie. Pour consulter les autres méthodes présentées, contacter les Terreux Armoricains.
Assurabilité et cadre réglementaire
En seconde partie de matinée, des représentants régionaux de l’Agence Qualité Construction et de la SOCOTEC sont intervenus en vue de rappeler les missions de leur structure et d’échanger avec les praticien·nes sur le cadre assurantiel et règlementaire appliqué aux chantiers de construction en terre crue.
Si les Guides de bonnes pratiques facilitent l’assurabilité des ouvrages et servent de référence pour les professionnel·les, ils ne suffisent à faire entrer la terre crue dans le catalogue des techniques courantes, ni à valider son usage dans certains types de bâtiments (ERP, promotion immobilière, bâtiments de plusieurs étages).
Les règlementations en vigueur (notamment environnementale et sismique) applicables au secteur du bâtiment ne permettent pas l’utilisation de la terre crue seule (non isolée, sans structure, non stabilisée) en mur extérieur porteur, et présentent des exigences incompatibles avec les caractéristiques et capacités physiques du matériau terre. Il est donc essentiel de réaliser une série d’essais permettant de caractériser et de définir avec précision les qualités intrinsèques de ce matériau ; en vue de faciliter la rédaction de futures Règles Professionnelles.
Technique courante : disposition constructive « traditionnelle » éprouvée et bénéficiant d’un retour d’expérience suffisamment large et probant pour être standardisée. C’est le cas de la norme NF DTU, des Règles professionnelles, ainsi que des Recommandations professionnelles du programme RAGE, Pacte et Profeel.
Technique non-courante : disposition constructive « innovante » ne bénéficiant pas d’un retour d’expérience suffisant pour être normée. On y retrouve les techniques faisant l’objet d’une procédure d’évaluation : Avis technique (ATec), Document technique d’application (DTA), Évaluation technique européenne (ETE), Appréciation technique d’expérimentation (ATex), Pass Innovation ; et celles qui ne bénéficient d’aucune évaluation.
Si la solution mise en œuvre relève de la technique courante, elle est intégrée dans l’assurance de responsabilité civile de l’entreprise. En revanche, celle-ci ne s’applique plus dès lors que l’entreprise recourt à une technique non courante. Les conditions d’assurabilité du procédé sont alors définies par l’assureur.
Des travaux de recherche participative avec le PN Terre
Dans la continuité du travail initié pour les GBP, le PN Terre se propose de développer des outils de dimensionnement, de conception, de mise en œuvre et de formation à destination des bureaux d’études et des contrôleurs techniques, en lien étroit avec les assureurs. Ces travaux de recherche participative pourront venir alimenter les GBP et, le cas échéant, les faire évoluer vers des documents validés par la C2P de l’AQC. L’idée est de mobiliser les laboratoires pour obtenir la doctrine technique nécessaire à la validation des Règles Professionnelles.
Afin de répondre le plus largement possible aux besoins des entreprises, quelle que soit l’approche constructive utilisée (terres excavées, gisements spécifiques, transformation sur site) et de s’adapter à la variabilité des terres, il est proposé d’adopter une démarche de validation performancielle des ouvrages, c’est-à-dire avec obligation de résultats et non de moyens.
Cette démarche requiert le développement d’essais in situ ou de laboratoire ainsi que des lois de changement d’échelle permettant de définir la performance de l’ouvrage à partir des résultats d’essais. Pour répondre aux manques identifiés, le projet s’appuiera sur la capitalisation des données scientifiques déjà existantes ainsi que sur des recherches ciblées.
L’objectif majeur est de contribuer à créer des rapports de confiance entre les praticiens (concepteurs, bâtisseurs, ingénieurs …) et la maîtrise d’ouvrage, les bureaux de contrôle, les assureurs et toutes autres parties prenantes dans les ouvrages en terre crue.
APPEL A IMPLICATION DES PRATICIEN·NES
L’une des bases d’un projet national est le partenariat entre praticiens et chercheurs, afin que les sujets de recherche et surtout leurs résultats répondent aux besoins rencontrés dans leur activité. Cette implication, en tant que praticien, n’est cependant pas toujours aisée, en raison d’indisponibilités, de sensations d’illégitimité, ou encore d’incompréhensions sur le rôle à jouer.
Afin de faciliter cette implication, le PN Terre a produit un questionnaire auquel les praticien·nes de la construction en terre crue (entreprises, architectes, bureaux d’étude …) sont invités à répondre, pour tenter de comprendre leurs motivations ou leurs freins.
Présentation des échantillons
A la demande du CTA, les participants furent invités à présenter des échantillons représentatifs de leur mise en œuvre de la bauge.
Ce projet est financé par le Gouvernement dans le cadre du plan France 2030 opéré par l’ADEME et financé par l’Union européenne – NextGeneration EU